«Si je vous parle des Antilles, à quoi pensez-vous ? » « À la plage ! », me répond avec franchise et spontanéité mon interlocuteur. Ce sympathique mais non moins ambitieux PDG d’une des principales plateformes d’equity crowdfunding de France me reçoit dans ses bureaux à Paris, afin d’évoquer les possibilités de développement de la finance participative en outremer.
En trois mots, il résume efficacement le principal écueil auquel se confrontent bien des entrepreneurs antillais : le déficit d’image en matière de culture entrepreunariale. Il aurait pu rajouter : «À la banane » ou « Aux grèves », sans tomber dans la caricature, du reste. Il a beau m’écouter avec attention et se montrer réceptif à ce que je peux lui proposer comme projets, comment lui faire oublier le bruit des vagues ?
Les entrepreneurs antillais sont confrontés à un déficit d’image qui rappelle un article récent de la Harvard Business Review. Celui-ci aborde la question de la valorisation de la filière cacao au Venezuela. Les véritables connaisseurs savent que les meilleures fèves du monde viennent du Venezuela et des Petites Antilles voisines. La Maison du Chocolat, à Paris, ne s’y est d’ailleurs pas trompée en consacrant une gamme entière de tablettes « premium » aux fèves vénézuéliennes. Mais en matière de transformation, malgré l’excellence de ses produits finis, une marque comme El Rey peine à placer ses chocolats sur le marché international. La raison ? L’image de marque du pays d’origine. Quand les Antilles font penser à la plage, le Venezuela fait penser au pétrole, éventuellement aux Miss, autre grande industrie de l’économie du pays, avec la bière. Le moindre chocolatier suisse ou belge, utilisant des fèves d’origine inconnue, aura plus facilement voix au chapitre qu’un chocolatier vénézuélien. Haïti et la Jamaïque ont le même problème avec leur café, face à la Colombie.
De même, les entrepreneurs de qualité existent, chez nous. Mais les antillais sont davantage connus pour leur taux important d’employés de la fonction publique que pour leur Silicon Valley. Si Bill Gates fait régulièrement escale dans nos eaux, c’est uniquement pour récupérer son yatch et partir en croisière privée. Et quand Loïc Le Meur séjourne aux Antilles, c’est pour aller faire du kite surf à Moustique chez Richard Branson, pas pour investir dans nos startups.
Dans l’imaginaire collectif, nous sommes donc essentiellement des fonctionnaires. Au mieux. Une situation qu’il ne s’agit ni de juger ni de critiquer, et qui a des explications sociologiques et historiques clairement identifiées (BUMIDOM, entre autres…). La caricature de l’employé antillais de la Poste ou des hôpitaux fait le bonheur de nombre d’humoristes, et elle a la vie dure.
Les lignes bougent, cependant. En 2011, sur les 20 entrepreneurs patrons de PME choisis pour représenter le dynamisme de l’économie française au sommet G20 Yes, figuraient 2 patrons antillais : José Jacques-Gustave (G2J) et Olivier Laouchez (Trace TV).
Les lignes bougent et frétillent, même, sur place, notamment autour de l’économie numérique, chère à la Ministre Fleur Pellerin. La Martinique en est déjà à son 2ème Startup Weekend, rejoignant ainsi un mouvement mondial et notamment caribéen, la Jamaïque et Trinidad n’étant pas en reste.
La Guadeloupe, qui a vu émerger en moins de 3 ans des startups prometteuses telles Shopping-97, leader de l’achat groupé aux Antilles-Guyane, s’apprête à accueillir la 1ère Conférence des Startups de Guadeloupe le 20 février prochain, avec un programme pour le moins ambitieux. Des initiatives entrepreunariales fleurissent aux Antilles à la confluence du numérique et de l’économie du partage, telles que Carfully (pendant antillais de OuiCar en France) ou encore le Martinique Workatjelly, premier espace de Coworking en outremer.
Au plan national, des personnalités originaires de chez nous émergent, telles que Sandrine Joseph, d’Orange, désignée Young Global Leader du Forum Economique Mondial en 2012. Toujours chez Orange, Pascal Latouche dirige l’Orange Fab, l’accélérateur du groupe en France, Medhi Famibelle est responsable du pôle performance web pendant que Manuel Mondésir développe les activités du groupe au Brésil depuis plus d’un an. Le 1er Forum de la Diaspora martiniquaise, organisé par la Région Martinique en décembre 2013, a été l’occasion de faire découvrir au public local le parcours passionnant de plusieurs expatriés martiniquais, partis faire des étincelles en Afrique du Sud, en Californie, au Mexique ou en Chine. Au dernier Consumer Electronics Show de las Vegas, salon phare de l’innovation technologique au niveau mondial, un entrepreneur martiniquais, Philippe Negouai, a présenté un boitier innovant, conçu en Martinique par sa société, Knowledge Technology, et qui permet de diffuser des contenus multimédia sur des lignes de transport.
Dans une semaine, le lancement national du Compte Nickel promet de révolutionner l’offre bancaire en France. Quatre hommes sont derrière ce projet, et l’un d’entre eux, Michel Calmo, est martiniquais.
Les lignes bougent même autour de la banane ! Deux projets ambitieux ont émergé récemment, autour de la valorisation du fruit phare de l’agriculture antillaise. KADALYS, une marque de cosmétiques à base de principes actifs anti-âge de la banane, s’est lancée résolument à la conquête du marché national, où elle rafle nombre de prix depuis plusieurs mois. FIB&Co a choisi la valorisation industrielle de la fibre du bananier, afin de produire des revêtements luxueux, utilisés en décoration ou encore dans l’automobile de luxe. Ce projet a d’ailleurs réussi en 2013 une des plus grosses campagnes de crowdfunding au plan national, en bouclant en 3 mois une levée de fonds de 300 000 €.
Et si, justement, le crowdfunding était une chance de changer la donne ? J’en parlerai dans mon prochain billet.
Entretemps, nous devons travailler à changer l’image de marque de nos régions et de nos communautés. Nous devons davantage valoriser nos entrepreneurs, ici et ailleurs. Nous devons encourager l’audace. Des réseaux tels qu’Outremer Network font un excellent travail de terrain à ce niveau. C’est à nous tous de faire bouger les lignes.
Alors peut-être que lors de mon prochain rendez-vous parisien, on ne me parlera plus de la plage, mais de FIB&Co, de Kadalys, de Trace TV ou de G2J. Qui sait ?
Mikaella Rojas Fanon
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