De Correspondent lève 1,7 M$, somme record en crowd-funding média : rencontre avec son fondateur

Publié le 27 janvier 2014 à 16:44 par Julien Cadot, Arthur Scheuer, Garance Meillon et Nicolas Prouillac

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Très peu de gens en ont entendu parler en dehors des Pays-Bas, et pourtant le journal numérique De Correspondent a battu un record de taille en clôturant un financement participatif avec 1,7 millions de dollars en poche. Quelles promesses pour cette publication exclusivement proposée en néerlandais ? Une information lente de qualité, un rétablissement de la subjectivité du journaliste au cœur de l’article, une confiance en l’expertise des auteurs pour définir le calendrier éditorial et un enrichissement des sujets par les lecteurs. Nous avons rencontré Rob Wijnberg, fondateur et rédacteur en chef de De Correspondent pour éclairer ce qui a transformé les idéaux de ce philosophe en une véritable entreprise de presse nationale qui a déjà convaincu 28 000 lecteurs abonnés.

 

Pouvez-vous raconter la genèse de De Correspondent ?

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Rob Wijnberg par Keke Keukelaar.

Bien sûr ! Je travaillais pour un journal hollandais, NRC Next, où j’étais rédacteur en chef. Quand j’ai pris ce poste en 2010, mon but était de réinventer le journal pour qu’il puisse vivre de nombreuses années, en ayant à l’esprit un lectorat plus jeune et plus centré sur internet. Ma stratégie reposait sur un éloignement de l’actualité générale et un rapprochement avec le journalisme qui explore les sujets en profondeur. J’ai quitté ce journal en 2012 parce que cette stratégie n’était plus à l’ordre du jour : le directeur de publication souhaitait aller dans une autre direction. Il voulait que l’on soit plus réactifs sur les nouvelles du jour, je voulais qu’on le soit moins. J’ai donc démissionné et j’ai tout de suite commencé à penser à mon propre journal, qui est devenu De Correspondent.

La première étape était assez simple : l’idée était celle d’un budget récolté en financement participatif. Nous avions besoin de 15 000 abonnés pour nous lancer, qui auraient payé 60 euros pour un an d’abonnement. Nous avons réussi à convaincre ces 15 000 personnes en huit jours. Après les trente jours de l’opération, nous avions 18 300 abonnés : nous pouvions commencer. La promesse initiale disait la chose suivante : Een dagelijks medicijn tegen de waan van de dag, ce que l’on peut traduire par « un antidote quotidien contre l’engouement du jour ».

Nous ne voulons pas traiter l’actualité, mais mettre en avant ce qui est actuel. La différence entre l’actualité et l’actuel, c’est que l’actualité se produit aujourd’hui, alors que l’actuel se produit tous les jours. Du coup, quand on veut comprendre le monde, et nos vies dans ce monde, on est systématiquement trompés par ce qui se passe aujourd’hui : l’actualité que l’on voit est l’exception à la règle. Nous ne traitons pas des exceptions, nous souhaitons traiter des règles.

« Nous ne voulons pas traiter l’actualité, mais mettre en avant ce qui est actuel. La différence entre l’actualité et l’actuel, c’est que l’actualité se produit aujourd’hui, alors que l’actuel se produit tous les jours. »

La promesse que nous avons faite à nos abonnés contenait alors deux choses. La première, c’était une plateforme centrée sur ses auteurs. Les abonnés suivent des correspondants qui ont une expertise ou un savoir sur un sujet précis. La deuxième, c’est que ces correspondants ne vont pas écrire sur l’actualité, mais sur ce qu’ils pensent devoir faire figurer dans l’actualité. Parce que ce sont des experts, ils peuvent juger avec grande pertinence ce qui mérite d’être traité et ce qui ne mérite pas de l’être. C’est comme cela que tout à commencé : aujourd’hui, cela fait trois mois que nous sommes en ligne et nous avons 28 000 abonnés.

Sont-ils tous Hollandais ?

Nous avons des visiteurs qui viennent du monde entier, mais la plupart de nos abonnés sont Hollandais, oui, car le journal est en hollandais. Des Belges flamands nous lisent aussi.

Un million de dollars en huit jours, c’est exceptionnel…

Précisément, 1,7 millions de dollars.

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Rob Wijnberg, dessin pour De Correspondent.

Encore mieux ! Comment expliquez-vous un tel engouement autour de votre projet ?

D’abord, les journalistes qui nous ont soutenus et qui ont soutenu le journal et y travaillent aujourd’hui ont eu un rôle : certains sont très connus. Les gens savent qu’ils sont bons et je pense que nous avons les meilleurs jeunes journalistes qui travaillent pour nous. Cela a suscité un grand intérêt. Plusieurs avaient déjà une large audience personnelle, sur Twitter ou Facebook. Ensuite, les gens ont été intéressés parce que ce que nous souhaitions faire était vraiment différent de ce qu’ils pouvaient trouver à la télévision ou dans la presse. Nous ne voulions pas répéter quelque chose qui existait déjà.

Le journalisme traditionnel que vous lisez un peu partout commence à lasser les gens. L’idée que nous allions faire un média plus profond et plus recherché a été appréciée par les lecteurs. L’intégrité a joué un grand rôle aussi : beaucoup d’agences de presse sont aujourd’hui fondées sur la maximisation des profits et sur l’identification des cibles commerciales. Elles se demandent tout le temps si elles ont généré assez de clics ou eu assez de public. Bien sûr, nous avons besoin de faire du profit pour durer, mais la maximisation du profit n’est pas notre objectif. Cet aspect déontologique du journalisme est en train de disparaître en Hollande. Beaucoup de gens ont été conquis par l’idée d’un retour aux fondements du journalisme.

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